L’hypnose, une pratique bien implantée à l’hôpital
- Le Figaro, par Pauline Léna Service Infographie
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INFOGRAPHIE – Cette technique s’avère efficace pour les enfants ou les personnes âgées, notamment pour soulager la douleur.
«Les petits personnages peints sur les murs facilitent déjà l’entrée à l’hôpital, qui est un lieu déstabilisant, souligne le Pr Tu Anh Tran, chef du service de pédiatrie du CHU de Nîmes. L’hypnose peut s’installer ainsi dès l’accueil, avec des paroles et des gestes qui placent l’enfant dans un contexte rassurant.» Même sans hypnoseformelle, cette approche facilite les soins en éloignant les larmes des enfants, l’inquiétude des parents mais également le stress du personnel soignant.
Le constat est le même dans la majorité des services où l’hypnose se met en place, y compris pour les plus vieux patients et même ceux dont l’esprit navigue d’un horizon à l’autre. «Nous avons commencé à utiliser l’hypnose pour des patients qui n’avaient aucun problème de mémoire, raconte le Pr Marie Floccia, gériatre algologue au CHU de Bordeaux. Nous l’avons désormais étendue à d’autres patients, y compris face à la démence.» Dans cet hôpital comme dans d’autres, l’hypnose fait tache d’huile et se retrouve à tous les étages.
Le contexte hypnotique se met en place dès l’arrivée dans le service, par des mots et des gestes rassurants pour mettre le patient – et son cerveau – en confiance, condition indispensable à une éventuelle hypnose plus formelle. «Si on dit “ça ne va pas être long, ça ne fera pas mal, n’aie pas peur”, souligne le Pr Tran, le cerveau enregistre “long, mal, peur”.» Dans son service, un bouquet d’électrodes se transforme en bouquet de fleurs et un abaisse-langue devient un bâton d’esquimau.
Dans un tel contexte, il est facile d’envisager une hypnose plus formelle avec les enfants et les parents pour des gestes plus douloureux. En effet, un geste douloureux peut devenir chatouille pour peu qu’on l’ait annoncé comme tel, après avoir activé les cinq sens de l’enfant dans un contexte imaginaire rassurant. «Les parents sont fréquemment embarqués dans nos voyages hypnotiques, précise le Pr Tran. Je me souviens d’une petite fille dont le menton était ouvert et que nous avons pu recoudre sans douleur et sans larmes en faisant la visite complète d’un parc d’attractions où son papa nous a suivis pas à pas.»
Les enfants sont particulièrement susceptibles à cette hypnose conversationnelle, loin de la transe formelle où le patient, assis ou couché, semble dormir. Pour les douleurs chroniques, les enfants peuvent apprendre l’autohypnose afin de se replacer tout seuls dans cet environnement rassurant où la douleur ne joue pas le même rôle.
Un personnel sensibilisé aux effets bénéfiques de l’hypnose
À l’autre bout du spectre de l’âge, le Dr Marie Floccia a commencé à utiliser l’hypnose dès sa validation pour les douleurs chroniques, en 2009. «Même au sein de la formation que j’ai suivie, certains étaient persuadés que cela ne fonctionnerait pas sur des patients âgés qui perdent la vue, l’ouïe et la mémoire, se souvient le Pr Floccia. Pourtant, rapidement, j’ai pu l’étendre à ces patients aussi, y compris pour des douleurs aiguës liées aux soins et pour prévenir les troubles du comportement.»
Son impulsion de départ a été nourrie par la motivation d’une infirmière – alors en gériatrie dans le service de long séjour – qui ne voulait plus entendre les patients l’accueillir d’un «qu’est-ce que vous allez encore me faire comme misères?». Désormais, leur douche se fait sous une cascade tropicale à Tahiti, pour le plus grand plaisir des patients et le confort des soignants qui n’ont plus à gérer l’anxiété que peuvent générer même les soins les plus simples, surtout lorsque la démence crée une confusion permanente.
«Pour ces patients, qui passent d’un univers où ils ont 5 ans à un autre où ils en ont 90, nous faisons des voyages entre l’hypnose formelle et la transe conversationnelle», souligne le Dr Floccia. Les effets peuvent être maintenus grâce à des ancrages, en particulier visuels, mais aussi avec toute une équipe qui doit adopter le même langage. «À la fin de l’année 2018, 100 personnes – de cadre à aide-soignant – sur les 400 de notre pôle gériatrie auront été spécifiquement formées à l’utilisation de l’hypnose pour la prise en charge des douleurs aiguës, des douleurs induites par les soins et pour la prévention des troubles du comportement.»
Dans le service du Pr Tran, 15 à 20 personnes sont formées chaque année – pour l’instant uniquement médecins et infirmières -, mais l’ensemble du personnel s’est sensibilisé aux effets bénéfiques de l’hypnose sur le fonctionnement du service et participe à sa mise en place.
Si les services où l’hypnose est entrée sont souvent rapidement convaincus de ses bénéfices, elle fait parfois encore l’objet d’une certaine réticence, qui repose encore largement sur la méconnaissance de cette pratique mais également sur le manque de données scientifiques sur ses effets. Il est en effet difficile d’établir un placebo de l’hypnose ou de définir le profil d’un groupe témoin selon les critères habituels des études randomisées. Un rapport de l’Inserm avait permis de confirmer son intérêt démontré dans certaines indications, en regrettant la faiblesse des données pour de nombreuses applications apparemment intéressantes.
Hypnose et chirurgie: un savoir-faire ressuscité
Première intervention chirurgicale sous hypnose: une mastectomie droite réalisée en 1829! Réalisée par le chirurgien Jules Cloquet, elle se fait sous un «sommeil magnétique» induit par le Dr Chapelain, encore sous l’influence des théories du magnétisme animal de Mesmer alors que le terme d’hypnose était apparu en 1819. En 1846, l’apparition de l’éther et du chloroforme met un terme à l’usage de l’hypnose en chirurgie.
L’hypnose entre alors dans son développement psychothérapeutique et spectaculaire, l’hypnoanalgésie continuant à être utilisée par certains médecins pour atténuer certaines douleurs chroniques. L’hypnose chirurgicale revient sur le devant de la scène avec le Dr Marie-Élisabeth Faymonville qui, au CHU de Liège, met au point un protocole d’hypnosédation associant hypnose et sédation consciente pour certaines interventions, dès 1991.
Le Pr Ilyess Zemmoura, neurochirurgien au CHU de Tours, est le premier et le seul chirurgien à utiliser l’hypnose lors d’interventions de neurochirurgie éveillée, plus spécifiquement pour l’ablation de gliomes de bas grade. Cette opération nécessite une participation consciente du patient, qui travaille avec un orthophoniste pendant que le chirurgien établit la cartographie précise de la tumeur pour réduire les séquelles cognitives dues à l’intervention. «Il s’agit d’une intervention déjà longue qui nécessite, lorsque le patient est sous anesthésie générale, de prendre le temps de le réveiller, avec le risque d’agitation et de confusion qui existe toujours dans ce cas», souligne le Pr Zemmoura.
Le recours à l’hypnose permet de raccourcir le temps d’intervention et d’éviter la dépression des neurones sous l’effet des anesthésiques. «Le processus est aussi beaucoup moins lourd, sans avoir recours à un respirateur ni à s’inquiéter des effets secondaires des anesthésiques», souligne le . Le résultat de l’intervention étant identique avec les deux approches, le choix se fait avec le patient. Depuis la première intervention, en 2011, le Pr Zemmoura a réalisé chaque année entre 15 et 20 interventions de ce type dont environ 50 % sous hypnose